Devoir de vigilance, la position d’Affectio Mutandi


PPL sur le devoir de vigilance, une initiative légitime …

Mieux prévenir et réparer les dommages sanitaires, environnementaux ainsi que les atteintes aux droits de l’homme, tels sont les objectifs de la proposition de loi sur le devoir de vigilance des sociétés mères et entreprises donneuses d’ordre, débattue depuis deux ans.

Cette initiative portée par plusieurs députés de la majorité, co-construite avec la clinique de Sc Po Paris et plusieurs ONGs constitue une importante réflexion sur les enseignements à tirer du drame du Rana Plaza et la mise en oeuvre effective des principes de l’ONU sur les droits de l’homme.

Elle constitue une démarche potentielle de progrès pour le respect des droits humains, sociaux et environnementaux en appelant à l’amélioration des dispositifs de prévention et à l’accès des victimes à une juste réparation.

Elle pose l’importante question du périmètre dans lequel les entreprises doivent mettre en oeuvre leurs diligences et exercer leur influence.

… qui manque de co-construction

Cependant, la démarche jusqu’à maintenant se traduit par d’importantes tensions entre ses porteurs et les entreprises qui ont pour origine notamment trois principaux paramètres :

–  la PPL peut être perçue comme partisane faute d’avoir impliqué toutes les parties prenantes en amont de l’initiative et jusqu’à ce jour, pour identifier les attentes et établir un état de l’art des bonnes mesures de diligence attendues, gage d’une sécurité juridique indispensable dans la perspective d’un dispositif susceptible d’entraîner une responsabilité civile ou pénale.

–  toutes les incidences de la PPL n’ont pas été suffisamment évaluées, qu’il s’agisse des moyens humains et financiers à mobiliser pour se préconstituer les preuves d’exercice de la vigilance, de l’impact sur la compétitivité face à des acteurs internationaux ne subissant pas le même niveau de contrainte ou de la potentielle délocalisation de sièges sociaux pour échapper au risque pénal.

–  l’efficacité du dispositif envisagé est contestée faute d’application au niveau européen, de garantie que l’Etat dispose des moyens pour une bonne administration de la justice et en l’absence de co-construction de solutions opérationnelles qui aujourd’hui font encore défaut, particulièrement dans des chaines d’approvisionnement complexes dans des pays à gouvernance perfectible. John Ruggie rappelait récemment l’obligation des Etats à faire respecter les Droits de l’Homme.

En synthèse, les objectifs légitimes fondant cette initiative sont desservis par une PPL déséquilibrée à l’heure de la co-construction, ne tenant pas compte des incidences sur les acteurs économiques et leur corps social.

Nous sommes loin du Grenelle de l’Environnement et de l’esprit qui a conduit ces transitions.

La Vision d’Affectio Mutandi

Alors que la Plateforme Nationale pour la RSE arrive aux termes de ses consultations et s’apprête à rendre son avis sur la PPL, nous exprimons notre vision, celle d’un expert hybride indépendant à la confluence des parties prenantes.

Les recours existent en l’état actuel du droit : qu’il s’agisse notamment de l’articulation entre les outils de droit souple et de droit dur illustrée par les enquêtes préliminaires en cours pour violation de codes de conduite ou le dossier Erika, de l’infraction d’esclavage moderne intégré dans notre code pénal depuis 2013, des possibilités de recours devant les Points de Contact Nationaux OCDE ou encore des prérogatives des Comités d’Entreprises qui ont l’occasion d’émettre des commentaires sur les rapports annuels de gestion en vue d’influer sur les dirigeants en assemblée générale… les outils disponibles ne manquent pas.

Certes chacun a ses faiblesses mais certains outils n’ont été que très peu utilisés.

Nous considérons par ailleurs que :

–  le rôle des watchdog que sont les médias, les ONGs, les associations de consommateurs et les syndicats n’est pas optimal et que cette PPL ne changerait pas cet état de fait.

–  l’éducation du consommateur  est un élément fondamental sur lequel les adversaires d’aujourd’hui dans le cadre de ce débat sur la PPL peuvent s’allier.

–      la publication par le ministère de la justice d’une circulaire de politique pénale dédiée au sujet pourrait constituer une piste intermédiaire intéressante.

–  le droit des contrats est un levier à ce jour insuffisamment mobilisé qui est à la jonction de la liberté contractuelle et de la contrainte par le recours aux tribunaux en cas de violation. L’outil contractuel est en mesure d’irriguer les politiques d’achat responsable, de se décliner dans les conditions générales des grands donneurs d’ordre ou des partenariats publics privés intégrant Ingénieries normative et sociétale, le concept d’Offsets et Compensations sociétales et environnementales. Il peut aussi s’exprimer à travers une nouvelle génération de codes de conduites co-construits dédiés aux mesures de vigilance.

A l’instar du Fire & Safety Accord conclu après le drame du Rana Plaza et salué par les ONGs du Forum Citoyen pour la RSE comme un exemple à suivre de démarche contraignante, le contrat nous semble une voie immédiatement mobilisable et stratégique.

Enfin, nous considérons qu’il faut avant tout faire avancer les acteurs locaux à l’autre bout du monde.

Dans cette perspective, et en l’état actuel des rapports de force avec les gouvernants et les acteurs économiques provenant de pays émergents à faible gouvernance et régulation, c’est sur les marques souhaitant commercialiser leurs produits en Europe qu’il convient de porter l’effort de pression et d’imposer progressivement un niveau d’exigence éthique.

La responsabilité des filiales de groupes étrangers opérant et commercialisant en France n’est pas suffisamment explicite. Mettre l’accent sur cette dimension de la proposition de loi répondrait au besoin d’un fair level playing field, évitant un choc des compétitivités et d’équité pour les entreprises françaises et européennes.